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  • Le Virus, le Japon et moi (première partie ?)

    Le Virus, le Japon et moi (première partie ?)

    Certains d’entre vous le savent, d’autres non, mais je suis professeur d’université dans une petite ville japonaise.

    Comme cette pandémie nous retourne tous un peu dans tous les sens, je m’étais dit qu’écrire un peu dessus, ça aiderait à faire sens de la situation. Et comme je l’écris dans un journal avec un « smart pen », je me suis aussi dit que pourquoi ne pas le partager ici avec vous, ça vous donnera un peu une idée de ce qu’il se passe au Japon.

     

    Prologue

    Il y a peu, j’étais tombé sur un article conseillant aux gens de tenir un journal, en papier, dans le but de laisser des documents aux futurs historiens. Des documents autres que les documents « officiels » de l’Histoire.

    Cela tombe bien, j’aime bien écrire, et avec un « smart pen », je peux faire d’une pierre deux coups et utiliser ces écrits pour mon blog aussi sans avoir à tout retaper. 🙂

    Et puis c’est le bon moment pour commencer : nous vivons une période historique après tout.

    Donc commençons, nous verrons bien où cela nous mènera.

     

    5 avril 2020

    Je débute ce journal au meilleur et au pire des moments : alors qu’une pandémie est en train de mettre un sacré bordel à peu près partout sur la Terre.

    Et, là tout de suite, je vis soit dans le meilleur soit dans le pire des pays pour faire face à cette crise. Car comme à son habitude, le Japon se distingue du reste du monde.

    Le pays fut l’un des tout premiers touchés par le coronavirus Covid-19, et pourtant, il semble être l’un des pays les moins atteints au moment où j’écris ces lignes.

    Pour mémoire, le premier cas de personne infectée au Japon remonte aux tous premiers jours de l’épidémie, alors qu’elle était à peine une arrière pensée en Occident. Mais alors que ses voisins, la Corée du Sud et Taïwan ont – entre autres choses – testé le plus de monde possible, au Japon les tests sont restés – et restent encore – très limités.

    La gestion officielle de la chose était d’isoler rapidement les personnes infectées et de ne tester que leur entourage direct. Bref contrairement à ses voisins d’abord et au reste du monde ensuite, l’épidémie au Japon semblait très limitée.

    Mais les chiffres très bas ne dupait pas grand monde : le Japon devait accueillir les Jeux Olympiques l’été venu . Tout ce qui a n’importe quelle forme de pouvoir au Japon (politique, économique, médiatique et autres) avait tout misé sur les JO dans l’espoir de rééditer le « miracle » de 1964, ignorant que le monde et les Jeux d’alors ne sont plus les mêmes que ceux d’aujourd’hui.

    Bref tout cela a ralenti toute réaction des autorités face à l’épidémie, il était question de la minimiser bien entendu. Jusqu’à ce qu’ils n’eurent d’autre choix que de se rendent enfin à l’évidence – même si par magie l’épidémie restait faible au Japon, ce n’était plus du tout de ça dont il s’agissait. Le reste du monde était quand même sans dessus dessous ; personne n’allait venir, ni athlètes, ni visiteurs.

    Et « étrangement », une fois les JO, repoussés – j’ai failli dire annulés, je ne serai pas surpris s’ils le sont, la situation sera-t-elle réglée l’an prochain ? – le nombre de personnes touchées par le virus au Japon à commencé à augmenter de plus en plus vite.

    On en est là aujourd’hui.

    Et je vais essayer de faire sens de ce qu’il est en train de se passer – autant pour moi que pour vous .

    Commençons par la réaction des Japonais, en particulier du côté de chez moi – la situation est, je pense, un peu différente dans les grandes villes.

    En février, tout le monde a eu peur, les masques sont apparus sur tout les visages. Les Japonais sont un poil « germophobes » et on pouvait le ressentir un peu partout.

    Mais voila, les Japonais confondent trop souvent l’impression de danger avec le danger réel – ou à l’opposé, mais c’est le même résultat – l’impression de sécurité avec la sécurité réelle.

    Et donc au bout de quelques jours / semaines, une fois le devoir social d’inquiétude accompli, la tension s’est relâchée surtout que – au moins ici et au moins officiellement – le nombre de personnes touchées restait extrêmement bas.

    Maintenant, et depuis quelque temps, la vie quotidienne est pratiquement identique à la vie quotidienne en temps normal. La majorité des gens ne s’inquiète plus.

    Et le gouvernement ?

    Fin février, alors qu’il était de plus en plus critiqué pour sa passivité, le Premier Ministre, Shinzo Abe, a décidé unilatéralement et sans en avertir personne, de faire fermer toutes les écoles pendant environ un mois. Mesure pas vraiment nécessaire à ce moment-là, totalement inutile car non accompagnée d’aucune autre mesure préventive et compliquant grandement la vie des familles dont
    les deux parents travaillent.

    Vous savez le pire ?

    Les écoles maternelles n’étaient pas incluses dans la fermeture (les universités non plus, mais les étudiants étaient en vacances jusqu’en avril à ce moment-là).

    Bref, il ne s’agissait que d’une mesure politique. Pour montrer qu’il ne faisait pas rien.

    Et un mois plus tard ? C’est la rentrée ! La plupart des écoles rouvrent cette semaine. Y compris pour mes enfants , y compris pour moi. Ah, si, dans mon cas la rentrée a été repoussée d’une semaine. Pourquoi ? Allez savoir.

    Si, certainement pour laisser un peu de temps à tout un chacun de se retourner. Et peut-être pour laisser le temps aux étudiants venant de regions plus touchées de se mettre en quarantaine avant la rentrée. Parce qu’apparemment quelque part dans les hautes sphères de l’administration de l’université, des gens pensent que les étudiants vont le faire… d’eux-mêmes…

    La semaine dernière, une de mes collègues est tombée sur un groupe de nos étudiants en médecine fêter leurs retrouvailles dans le parc près de chez elle autour d’un grand barbecue ! Nos étudiants en médecine !

    Et donc, que se passe-t-il dans mon université ? Pour faire face à l’épidémie ? Pour l’empêcher d’arrivée parmi nous (si le virus n’y est pas déjà à l’insu de tous) ?

    Rien !

    Absolument rien…

    Le début du semestre se préparait comme si de rien n’était. Il n’était juste question que de suivre les directives totalement ridicules du Ministère de l’Éducation :

    • Bien aérer les salles de classe.
    • Espacer les étudiants d’environ un mètre les uns des autres.
    • Interdiction aux étudiants de se parler en classe.
    • Port du masque conseillé pour tous.

    Oui, ceci est suffisant pour contrer le coronavirus dans un campus selon notre ministère.

    Mise à jour (mars 2021) : Je moquais ces mesures qui me semblaient en demi-teinte voila bientôt un an, mais maintenant avec le recul, je me dois de faire mon mea culpa. Ces mesures étaient les bonnes. Une des réussites du Japon et des échecs de l’Occident c’est d’avoir considérer la transmission aérosol comme étant la plus importante depuis le début. Et aujourd’hui, près d’un an plus tard, l’aération et le port du masque s’est généralisé au Japon, et j’hallucine de voir qu’ils restent encore matière à débat dans certains pays, y compris celui qui m’a vu naître.

     

    Lors de notre premiere réunion de début de semestre, devant le manque d’action et d’intérêt apparent pour la chose de la part de la hiérarchie, les professeurs étrangers avons fait un mini coup d’état et avons décidé de déplacer nos classes en ligne.

    Le chef de notre section était abasourdi, choqué presque.

    J’aime beaucoup vivre au Japon et les Japonais. Sauf dans ces moments-là : quand ils ont une obéissance aveugle envers la hiérarchie, quand ils ne veulent pas prendre leurs responsabilités et quand ils semblent être complètement étrangers au concept de prévention.

    Parce que c’est exactement de quoi il est question ici.

    Nous sommes une université publique et personne dans la hiérarchie ne veut aller à l’encontre du ministère (même si d’autres universités ont déjà osé). Et nous sommes dans une région du pays encore peu touchée par l’épidémie, alors pourquoi changer les choses tant que personne n’est officiellement infecté ?

    Parce que ne nous y trompons pas : l’université devra fermer ses classes et aller sur internet au premier cas de Covid-19 déclaré sur le campus… Y aller dans l’urgence, sans aucune préparation et en plein milieu de semestre.

    Ce que nous essayons de faire – à savoir ne pas attendre d’en arriver là et déplacer les cours en ligne en nos propres termes avant que cela ne devienne une urgence – est un concept totalement étranger pour beaucoup de Japonais.

    Pas tous, bien entendu pas tous, mais plus on monte dans la hiérarchie, plus on rencontre de gens adeptes de diverses politiques de l’autruche en cas de situation imprévue, compliquée ou dangereuse.

    Ce n’est pas une surprise, ce n’en pas en faisant des choses imprévues et inhabituelles que l’on monte les échelons au Japon.

    Depuis une semaine, on en est là.

    Mais on est en train de gagner. Peut-être qu’ils sont en train d’accepter. Pour qu’on leur fiche la paix, je ne sais pas (j’exagère,  il y a quand même des gens hauts placés qui sont de notre côté), mais on va y arriver.

    Pendant ce temps , ma fille a repris l’école lundi, comme l’a demandé le gouvernement de Shinzo Abe. Mais le maire – qui écoute ses administrés – c’est un bon maire, pour ce que j’en connais –
    a décidé de les fermer de nouveau dès la fin de la semaine devant la levée de boucliers (qui m’a surprise avouons-le) de la part des résidents de la ville, au moins sur les réseaux sociaux, et contre la décision nationale de rouvrir les écoles.

     

    (à suivre)

     

     

     

     

  • La Balançoire

    La Balançoire

    En Mars dernier, une jeune femme est venue au boulot pour se renseigner à propos de cours pour sa fille. Jusque-là rien d’inhabituel, sinon son apparence.

    Voyez-vous, au Japon, l’habit à tendance à faire le moine. Et la jeune femme en question avait un look qui n’a, non seulement rien à voir avec celui habituel de la “mère”, mais qui en plus tendait plutôt vers celui de “jeune femme fêtarde, célibataire, pauvre, sans éducation et très certainement facile.”
    Oui, parfois, dans ce pays, on peut deviner beaucoup du background d’une personne juste par son apparence physique (ailleurs aussi, mais ici, plus, je trouve).

    Maintenant, point de méprise, loin de moi l’idée de juger les choix faits par cette femme quant à la façon de vivre sa vie. Surtout que je suis presque sûr que certains choix n’ont pas dû en être.
    Disons que son apparence jurait pas mal par rapport aux autres mères de l’école, surtout que celle-ci est située dans un quartier plutôt bourgeois et qu’elle attire des familles appartenant plutôt aisées.
    Le seul commentaire personnel que je me permets d’émettre à son sujet, c’est qu’en général – et je précise bien “en général” – j’ai toujours de forts doutes sur la capacité qu’ont ces jeunes femmes-là à être mères et à élever correctement leurs enfants. Mais une fois de plus, je ne sais rien d’elle, dont pas de jugement hâtif et mal informé.

    Elle commença à nous parler un peu de sa fille, Lena, 5 ans et très probablement atteinte du syndrome d’Asperger ou autre trouble similaire.

    Nous l’invitâmes – comme c’est la norme – à venir prendre part à une classe et voir comment ça se passe, ce qu’elle fit quelques jours plus tard.

    Ce jour-là, j’ai rencontré une petite fille adorable, d’une gentillesse extrême (nous nous sommes presque attachés l’un à l’autre en moins d’une heure – ça arrive parfois avec certains enfants) d’une intelligence toute aussi extrême – elle apprenait tout presque instantanément. Mais aussi une petite fille hyperactive et complètement incapable de se concentrer ou de se focaliser sur la même chose plus de quelque secondes.

    Quant à la mère, je la sentais dépassée, pas juste pendant cette classe d’essai, mais dans sa vie, tout simplement. Qui ne le serait pas ? Mais probablement encore plus dans son cas, comme je le soupçonnais déjà lors de notre première rencontre, je ne suis pas sûr qu’elle ait la maturité nécessaire pour être mère, ni peut-être l’intelligence pour gérer une telle enfant.

    Après la classe et une brève discussion, elles partirent pour ne jamais revenir. Il était malheureusement clair que notre méthode d’enseignement n’était pas adaptée à la petite Lena (mais y a-t-il une méthode “normale” qui le soit ?). Nous avons bien deux étudiants dans des situations similaires, mais l’un (14 ans) suit des cours particuliers, l’autre (4 ans) arrive à fonctionner sans problème dans le cadre d’une classe avec d’autres enfants de son âge.

    Sans pouvoir le leur dire expressément, je leur souhaitais du fond du cœur la meilleure des vies possibles, tout en sachant que la route serait difficile.

    Il y a quelques jours, alors que je marchais près du terrain de jeux de mon quartier, à une heure où il est habituellement vide, les enfants étant à l’école, je les vis toutes les deux.

    Lena faisait de la balançoire, elle riait de tout son cœur, comme tout enfant de son âge s’amusant follement dans un parc. Sa maman la poussait. Elle semblait heureuse, elle aussi, ne serait ce que pendant ces quelques minutes durant lesquelles l’univers se limitait à cette balançoire et à cette petite fille adorable riant.

     

    Balancoire